vendredi 1 mai 2009

Minuit vingt deux secondes

Qu’il faille toute une vie, peut-être, pour arriver au bout d’une seule journée d’écriture, c’est une preuve. Une preuve du temps relativement long nécessaire à l’écriture d’une portion relativement courte du temps. Mais l’unité minimale de répétition à l’échelle d’une existence étant la journée, laquelle est toujours divisée des mêmes vingt quatre heures, mille quatre cents quarante minutes, quatre vingt six mille quatre cents secondes, il aura suffi d’une seule journée pleinement écrite pour que toutes les autres le soient un peu aussi. Difficile consolation. On est bien avancé, on n’avance pas beaucoup. On avance comme on veut pourtant, une seconde courte, une autre longue, c’est une liberté après quoi il n’y a rien d’important.
Opalka.
A cette seconde, c’est à Roman Opalka qu’il faudrait penser. Il fallait bien choisir une seconde et la donner à celui qui, toute sa vie depuis une certaine date, a consacré son Travail au temps. Opalka, un jour de mille neuf cents soixante cinq, décide de ne plus peindre que la suite des nombres entiers naturels à partir de un. Il peint en blanc sur des toiles à fond noir auxquelles il ajoute, depuis mille neuf cents soixante dix, un pour cent de blanc. La toile s’éclaircit chaque année davantage mais les nombres restent blancs et bientôt, il y a la peinture des nombres blancs sur la toile blanche. Avant de replonger le pinceau dans le blanc, il va jusqu’à l’épuisement de la quantité de peinture sur les poils qu’il presse pour en obtenir les dernières traces. Après une inscription lisible, les nombres vont ainsi souvent vers la disparition. Au final, à la mort d'Opalka, il y aura un nombre, ou un demi, ou un quart de nombre, mais ce n’est pas important. Une mécanique est enclenchée qui transforme l’arrêt matériel en simple métaphore. Une inversion complète des codes de vie.
Il est minuit vingt deux secondes et à cette heure du texte, Opalka continue toujours de peindre.

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