samedi 2 mai 2009

Minuit vingt six secondes

Tenir, c’est la question qu’il se pose alors qu’on l’oblige à continuer cette activité épuisante, qui demande un renouvellement permanent à chaque nouvelle reprise, avec, cependant, la conservation d’un fil pour ne pas égarer son ou ses potentiels bénéficiaires qui, derrière lui, l’observent en direct à mesure qu’il progresse tant bien que mal dans le vide. Il pourrait s’arrêter maintenant et ce serait le vide, là juste après, rien. Mais non, il doit continuer sous la menace de – de quoi exactement ? Il ne s’en souvient plus trop, il sait ou il sent que si cette activité cesse, quelque chose de terrible va s’abattre. Bien entendu, il s’est demandé souvent si l’ennemi tant redouté n’était pas lui-même. Il se méfie de lui depuis quelques temps et il a décidé d’une parade qui lui permet de se regarder d’un peu plus loin que d’habitude. Il ne se parle plus qu’à la troisième personne du singulier. « Je connais ce type » dit-il souvent comme il se croise en ville, au détour d’un pan vitré d’immeuble. Il faut dire qu’il ne sort plus beaucoup avec la peur qui l’anime et dont il souffre que les autres ne souffrent pas. Des inconscients. On va tous crever mais il est seul à bien sentir qu’il faut continuer à tenir la ligne, à la mener là où elle doit être menée, sans discours ni fanfare, trouver des raisons de le faire et les mettre en lignes, les unes à la suite des autres, pousser chaque élément de chaque ligne dans l’espace qu’ils créent à mesure qu’on les guide jusqu’au point final, celui où l’on respire enfin.

Minuit vingt cinq secondes

Puisqu’à l’origine, la division du temps en seconde est calquée sur le battement du cœur, toute irrégularité est signe de danger et de crise. L’écriture du temps étant par nécessité irrégulière, on peut voir ce texte comme une forme très spéciale de maladie. Du moins à l’échelle du cœur. Du côté du texte, c’est le battement qui apparaît nocif.

Minuit vingt quatre secondes

Plus précis qu’une seconde, ce serait un instant. Un instant est malléable. Il prend la forme que l’on veut. Récit d’un instant portant sur les rapports de l’instant et de la seconde. Une seconde d’un instant ou un instant d’une seconde. La subdivision l’emporte sur l’unité. Dans chaque seconde, il y a une masse d’instants possibles et dans chaque instant, plusieurs secondes potentielles. Travailler la seconde dans l’instant et l’instant dans la seconde, c’est produire une illusion chronologique.

vendredi 1 mai 2009

Minuit vingt trois secondes

L’important parfois, c’est de pouvoir se justifier, d’avoir les moyens de le faire. Puisqu’une question est souvent une accusation sournoise, il faut pouvoir justifier de son Travail, le Travail par excellence, c’est-à-dire le mode de vie, votre vie choisie et assumée.
Que faites-vous dans la vie ? J’écris le temps d’une journée. Et par quel moyen ? J’utilise ce qui existe déjà, les secondes, minutes et heures qui divisent universellement ce temps. J’écris chacune en lettres, c’est une mise en lettres des nombres du temps. C’est leur nom après tout et derrière chaque nom, je me fends d’un texte court ou long qui se rapporte à l’écriture du temps, aux rapports multiples entre ces deux domaines de mon étroit périmètre de vie. Depuis que je m’y adonne et que la fin de la journée se présente là-bas, loin encore mais parfaitement visible pour moi, je me sens beaucoup mieux, réconcilié, disponible. Ça fout les boules les gens heureux, ça met les glandes au niveau des poumons et ça étouffe les faibles. Certes, cette image brusque et inattendue vient légèrement gâter ma justification. Donc je reprends. Indépendamment de moi, c’est le genre de Travail qu’il fallait exécuter au moins une fois. Concert unique et puis rideau. J’emménage dans mon Travail, j’y vis, tout est texte dans cette baraque changeante mais précise, au périmètre reconnaissable par tous. Et c’est un travail, je le redis, je suis un travailleur, un Travailleur !

Minuit vingt deux secondes

Qu’il faille toute une vie, peut-être, pour arriver au bout d’une seule journée d’écriture, c’est une preuve. Une preuve du temps relativement long nécessaire à l’écriture d’une portion relativement courte du temps. Mais l’unité minimale de répétition à l’échelle d’une existence étant la journée, laquelle est toujours divisée des mêmes vingt quatre heures, mille quatre cents quarante minutes, quatre vingt six mille quatre cents secondes, il aura suffi d’une seule journée pleinement écrite pour que toutes les autres le soient un peu aussi. Difficile consolation. On est bien avancé, on n’avance pas beaucoup. On avance comme on veut pourtant, une seconde courte, une autre longue, c’est une liberté après quoi il n’y a rien d’important.
Opalka.
A cette seconde, c’est à Roman Opalka qu’il faudrait penser. Il fallait bien choisir une seconde et la donner à celui qui, toute sa vie depuis une certaine date, a consacré son Travail au temps. Opalka, un jour de mille neuf cents soixante cinq, décide de ne plus peindre que la suite des nombres entiers naturels à partir de un. Il peint en blanc sur des toiles à fond noir auxquelles il ajoute, depuis mille neuf cents soixante dix, un pour cent de blanc. La toile s’éclaircit chaque année davantage mais les nombres restent blancs et bientôt, il y a la peinture des nombres blancs sur la toile blanche. Avant de replonger le pinceau dans le blanc, il va jusqu’à l’épuisement de la quantité de peinture sur les poils qu’il presse pour en obtenir les dernières traces. Après une inscription lisible, les nombres vont ainsi souvent vers la disparition. Au final, à la mort d'Opalka, il y aura un nombre, ou un demi, ou un quart de nombre, mais ce n’est pas important. Une mécanique est enclenchée qui transforme l’arrêt matériel en simple métaphore. Une inversion complète des codes de vie.
Il est minuit vingt deux secondes et à cette heure du texte, Opalka continue toujours de peindre.

Minuit vingt et une secondes

Un seconde d’hommage, c’est une seconde illustrée, une seconde figurative. Le temps parfait est le temps iconoclaste car toutes les images ont leur place et il n’en faut aucune sous peine de s’interdire les autres. Une seconde monadique, une monade de temps.

Minuit vingt secondes

L’observatoire, la nuit. L’action commencée tout à l’heure n’a pas avancée. L’hésitation porte sur le décor intérieur de ce court passage de temps. Et sur la masse des activités à y faire. Au loin, il y a la cité balnéaire de plaisirs. Bref appel du bruit. Le temps pour s’y rendre est très court, moins d’une heure de route, peut-être quarante minutes. Deux mille quatre cents secondes écrites de trajet en voiture, un véritable voyage, un road récit. Il faudrait prévoir des étapes, des arrêts, des bifurcations peut-être, des imprévus. Des rencontres qui font déserter. Un trou noir aussi. Le temps devient compliqué dans ce cas là. Si un trou noir surgit en pleine seconde de texte, quelle allure aura celle-ci ? Allongée, étendue, suspendue jusqu’à rendre sa lecture inhumaine ? Faut prendre le risque, on ne peut pas laisser comme ça les trous noirs au bord du récit, d’autant que la plupart des routes sont accidentées, elles sont catastrophiques, les pneus y crèvent et personne ne dit rien des cimetières de pneus morts. Bref. Il faudrait se décider, prendre la voiture ou la laisser au garage, observer le ciel ou se rendre en ville. On peut bien faire les deux en vingt quatre heures.

Minuit dix neuf secondes

Le commerce du temps passé à plusieurs.
Le plaisir est dangereux aujourd’hui, il existe des secondes fatales. Une seconde d’inattention, seconde alcoolisée et hop, un instant plus loin, au réveil après une longue nuit, l’angoisse démarre, un instant très long, suspendu, consacré à la représentation de cette seconde spéciale dont on se demande si elle partage le temps une fois pour toute. Il n’y a qu’une prise de sang, au retour d’un voyage, qui peut vous donner une réponse. Avant, après. Pendant, il n’y a rien eu de maladif. Une seconde de bonne santé partagée dans un lieu, une ville, un pays, une région, faits pour ce type de commerce.

mardi 28 avril 2009

Minuit dix huit secondes

Phrase courte. Phrase longue – d’autant plus longue qu’elle tenterait, par exemple, de décrire le jeu d’une fille avec un chewing-gum, la prise de la patte en main et son moulage en un long fil, une ligne presque transparente ramenée peu à peu dans la bouche ( ou bien ce serait la description du ratissage du sable par un préposé à cette action presque zen mais effectuée dans un environnement complètement profane, une plage ou un bac ou un terrain, un lieu public préparé lentement dès le matin par le passage progressif du râteau provoquant des traits à la limite de l’invisible ( ou bien ce serait encore autre chose, peu importe, n’importe quoi évoquant la longueur, la durée )). Phrase secondaire, quoiqu’il en soit, rapportée au cours habituelle des phrases, toutes tendues vers un but et liées afin de faire sens et de provoquer dans l’esprit du lecteur, un récit. Phrase en retrait comme le sont certaines secondes en pleine périodes d’actions, un bref moment d’absence, ce dont on se souvient mal en fin de journée ou simplement quelques secondes plus tard, ou plus loin.

dimanche 26 avril 2009

Minuit dix sept secondes

Faire court : c’est assez difficile quand on a peu de temps, quand le temps imparti est proche de zéro et qu’il ne dépasse pas l’unité minimale du décompte temporel : une seconde.

Minuit seize secondes

Il pourrait s’agir d’une fiction. N’importe quelle fiction condensée dans un jour. On pourrait prendre comme découpage de cette fiction les secondes de la journée. Chaque action, chaque pensée, chaque dialogue seraient décomposés à la seconde près. Et au sein de chaque seconde écrite, le moindre geste, mot, idée d’un ou plusieurs personnages, le moindre paysage deviendraient un événement descriptif. Il faudrait une prose transitionnelle. Plusieurs possibilités s’offriraient.
Soit on opte pour une langue répétitive, avec, à chaque seconde, une infime variation qui indique le mouvement en cours. Après quelques minutes, le texte initial serait totalement transformé exactement comme on peut passer d’une couleur à une autre progressivement par le dégradé de toutes les teintes intermédiaires.
Soit on opte pour une langue photographique, avec, à chaque seconde, un arrêt sur un fait de la fiction en cours. Puis on explore. On ne cherche pas à progresser mais à exposer l’ensemble des plans que l’immobilité révèle. On découvre la multiplicité des directions possibles dont la richesse abolit toute tentative de progresser. Chaque seconde de la fiction est alors déliée des secondes limitrophes. Le passage de l’une à l’autre est aussi brusque que le montage de plans contradictoires les uns à la suite des autres. C’est la confrontation des secondes entre elles qui produit un sens virtuel. C’est la « troisième » seconde, simulée et imaginaire, intercalée entre deux secondes d’écriture effective. Il n’est pas trop tard. La fiction est peut-être déjà commencée. Il doit s’agir d’un seul individu, un individu isolé quelque part. Sans doute dans un observatoire. Un observatoire d’un genre spécial. Un observatoire doté d’un télescope géant de dernière génération. Et aussi d’un dispositif informatique qui le relie à toutes les caméras en fonctionnement dans le monde. C’est une fiction, c’est donc un observatoire spécial. Il observe ce qui se passe sur terre et ce qui se passe loin d’elle. Mais il est confronté au temps. C’est le temps qui donne au lieu sa pertinence. Un lieu n’est jamais pareil d’une seconde à l’autre. Il suffit de prendre une série de photographies. Ou de filmer. Pour s’en apercevoir. Il observe donc le temps plus que les lieux. Il prend donc des notes au fur et à mesure, il inscrit progressivement ce qui lui semble important et, très vite, ce qui lui semble anecdotique et, plus vite encore, ce qui semble lui échapper, car quelque chose lui échappe, il ne maitrise plus, il ne maitrisera bientôt plus du toute le programme qu’il s’est fixé et qui part en couille, oui, manifestement, il part en couille, et son esprit dépassé lui préconise d’accepter et de trouver un subterfuge, partir en couille, c’est comme partir en voyage, la Couille est donc comme un pays lointain, c’est un pays.
Il se reprend à temps : l’observatoire est situé quelque part en Asie du Sud-Est, dans un endroit élevé et solitaire, mais assez proche d’une grande ville balnéaire de plaisirs, avec en face, un chapelet d’îles paradisiaques et relativement préservées. Après tout, on est dans une fiction, on est ici pour vivre une fois pour toute et définitivement, on est chez soi, bien enveloppé dans un faisceau de secondes scripturales, on ne va donc pas se gêner.