samedi 30 mai 2009

Minuit une minute vingt neuf secondes

On consulte l’heure, on consulte le texte, on calcule le temps de pagination ou du déroulé du menu pour que le temps du texte coïncide avec le temps de consultation, puis on consulte le texte à l’heure exacte de sa consultation.

Minuit une minute vingt huit secondes

Une seconde est une partie d’une minute, qui est une partie d’une heure, qui est une partie du jour, qui est une partie d’une semaine, qui est une partie d’une année, qui est une partie d’un siècle, qui est une partie d’un millénaire, mais un millénaire peut être une partie d’une seconde quand un texte titré seconde contient les dates comprises de un à mille et, dans un de ce millier, dans cette unité d’un millième, les dates comprises entre un et trois cents soixante cinq, et, dans un de trois cents soixante cinq, les repères compris entre un et vingt quatre et dans un de vingt quatre, les points compris entre un et soixante et dans un de soixante, les points compris entre un et soixante à nouveau, et dans cette unité qui pourrait être la dernière, toutes les divisions sont encore possibles et donc, une année peut être la partie d’un jour, un jour la partie d’une seconde, une heure la partie d’une minute, c’est une procédure connue, datée, la partie du tout, le tout dans la partie, et il est certain qu’à l’écrire, on possède un temps d’avance et peut-être aussi un certain vertige, un genre de nausée.

Minuit une minute vingt sept secondes

Le présent - le temps du présent, la présence - constitue, en partie, une sorte d’horizon, un paysage de l’écriture, une écriture vécue au même instant qu’elle est lue, un paysage parcouru, poursuivi vers l’horizon, puis franchi jusqu’à la prochaine ligne. Le passé, le passé du temps, le futur, le temps futur, sont des déséquilibres, avec, immédiatement, un présent simulé, virtuel, de quel présent parle-t-on d’hier, de demain ? Là, dans l’étroit des lignes, l’équilibre se maintient toujours, la symétrie visuelle de l’alignement, du passage, de la transition d’une ligne à l’autre, d’une seconde vers une autre, sans raison, pour une fois.

Minuit une minute vingt six secondes

Blocs – de textes – blocs collés à blocage, blocus – comment, dès lors, ne pas se sentir bloqué à l’instant – l’instant, les suites d’instants mis en blocs -, à l’instant de s’y mettre – aux blocs, aux opérations dans les blocs, à l’imprévisible des blocs dans le texte opéré ?

Minuit une minute vingt cinq secondes

Arrivé au bout, le passage à la ligne est automatique en prose, quand l’espace horizontale d’inscription est atteint, quand il n’y a plus de place et que la ligne saute, descend, les lignes descendent toujours d’une ligne à l’autre dans toutes les langues, du moins sans doute, sans doute mais pas sans aucun doute, il faut toujours mettre du doute au moment d’affirmer, c’est une règle, ou c’est un tic, un automatisme, ou une lâcheté, donc pas sans aucun doute mais avec un doute minimum, les lignes s’étagent ou bien les caractères descendent, c’est inévitable et toute fiction devrait en tenir compte, toutes les histoires devraient montrer des chutes, un personnage en train de tomber en hommage à la prose descendante, un être défenestré qui, à la vue des reflets de la vitre brisée entourant sa chute, les rapproche des bribes de sa propre existence qui lui viennent en masse et qu’il recombine en multiples vies croisées et multipliées. Le tout en une seule phrase avec une deuxième pour le signaler.

Minuit une minute vingt quatre secondes

Le texte raconte l’histoire d’une planète et des espèces qui y sévissent. Chapitres de formations géologiques, climatiques, biologiques. Linéarité narrative. Evolutions du vivant d’une forme à l’autre. Puis arrivée d’un genre que, par souci de lisibilité, on appellera métaphoriquement humain. Le genre humain est à la fois dans le texte un genre soumis aux règles du vivant et un genre stylistique. Evolution du texte dans le texte. Puis l’humain progresse, invente et domine. Puis il trouve le moyen de voyager dans le temps. Dès lors, les chapitres de cette partie du livre voyagent dans le passé, le passé du texte, on se retrouve au chapitre un - citation, reprise, répétition, variation, correction, mélange des temps, fin de la linéarité. A la fin, on découvre que l’auteur du livre est l’un de ces voyageurs du temps.

mercredi 27 mai 2009

Minuit une minute vingt trois secondes

La faute à qui ? A l’orthographe, bien entendu. Toujours, elle poursuit ceux qui s’en servent pour les trahir au pire moment, à la seconde fatale : celle de l’écriture. Elle se venge, mais de quoi ? De qui ? Quel mal à s’en servir mal, même à oublier certaines de ses zones les plus sensibles, les exceptions, les règles d’accord, les dédoublements de lettre. Cette schizophrénie du mot « lettre », justement, à l’endroit du t, à moins qu’il s’agisse d’une symétrie architecturale – on pourrait bâtir une façade qui mime lettre, en toute pierre ou en tout verre - - dédoublements encore - - alors que « justement », lui ne se dédouble jamais – à peine commet-il la faute d’une répétition du t, au milieu du mot et à la fin, mais c’est élégant, comme proche d’un nombre d’or de la combinaison alphabétique. D’une manière ou d’une autre, l’orthographe fait défaut justement là où elle devrait se faire vigile, aguets, veille, en trahissant la main au moment de la frappe, neutralisant le clavier, ralentissant la lecture. Il manque des touches, d’un coup, c’est un abyme au milieu des doigts pluvieux.
Utilisant, pour signaler son mésemploi, des tiers, possédés d’elle – l’orthographe - comme autrefois le prétendu diable possédait une innocente. Ou des amis. Mais non, c’est un anachronisme : il y a trop de fautes dans les langues parlées ou écrites ou mortes-écrites pour se plaindre qu’on les corrige. Une légende court le réseau : un individu, ou un collectif d’individus – mais il est plus inquiétant d’imaginer qu’il est seul – affublé du pseudonyme Le Correcteur, interviendrait de manière opportune – la nuit très souvent, à ces heures de nuit qui font toujours mystères, malgré le noir des villes colorées de néons, de réverbères, de phares – sur les forums et les blogs, citant quantités d’interventions pour les nettoyer de leurs coquilles, se présentant toujours sous cette forme : « Je suis le Correcteur. Je n’interviens jamais à titre participatif mais correctif. Il est inutile de me répondre ou de chercher à me joindre en message privé. » . Et toujours renaissant avec ça, échappant à tous les protocoles de bannissement. Nombreux sont ainsi les forums « trollés » par cet être hybride, moitié humain, moitié programme.
Dans la recherche permanente et graphomane de parvenir au bout de ce Féminin des nombres, je ne résiste pas à l’idée que puissent exister, parallèles et satellites, des secondes bis, citées en commentaire, corrigées, comme une seconde chance, une manière de revenir sur le temps qui, dans la vie réelle - dans le sens très ordinaire de « réalité » pour qualifier la vie, c’est-à-dire la vie amputée de presque tout – ne revient jamais, sinon pour le pire – le meilleur, dit-on encore, est à venir.

mardi 26 mai 2009

Minuit une minute vingt et une secondes

A mesure que l’on avance, le retard s’accumule, l’espérance de vie et de texte deviennent une blague et l’on compte le temps à l’envers – pourquoi n’avoir pas couché plus tôt ici, ce que l’on a si mal couché ailleurs – l’expression « coucher sur le papier », d’une certaine manière, constitue un horizon indépassable de la métaphore ? C’est un programme à rebours, une uchronie égoïste, individuelle, qui ne change rien au temps collectif, mais tout du temps personnel. On consacre son présent à son passé conditionnel. On révise et on calcule son passé. Il se peut que ce soit en fait une activité partagée par le plus grand nombre mais dans le secret du monologue intérieur que l’on promène avec soi tout au long des vingt quatre heures d’une activité cérébrale standard et qui n’émerge souvent que subrepticement au coin des lèvres en pleine rue, dans un parlé seul qui effraie plus qu’il ne provoque une sensation d’appartenance.
Il aurait fallu ceci plutôt que cela. Je serais déjà arrivé à telle heure si j’étais parti plus tôt. On écrit une horloge dans l’autre sens, on fait du texte une lente remontée vers ce qui aurait du et n’a pas pu. Chaque seconde devient alors une chute, un rebus du passé, le rattrapage des minutes et des heures inemployées. On élargit par le texte le vécu rachitique, amaigri. C’est aussi, après tout, une manière d’avancer et de passer le temps au crible de l’inscription systématique.

Minuit une minute vingt deux secondes

Comme elles sont, les bulles, on les voit contenir de l’air, et n’être séparées de l’extérieur que d’une fine couche transparente parfois teintée de couleurs. Crevées, elles disparaissent, aussi vite qu’un texte effacé après sa sélection. Il faudrait disposer d’une méthode semblable, d’un outil pareil, produisant en masse des blocs automatiquement intelligibles, sensés, sonores, jouant sur tous les tableaux possibles du texte, expulsés d’un coup, dérivants quelques temps dans l’espace d’un écran paginal de dimensions sans fins particulières, et puis s’évanouissant d’un coup, éclatants, aussitôt remplacés par d’autres. D’une autre manière, chaque bloc dans sa ressemblance aux bulles, disposerait d’une membrane traversée par la lecture, il serait possible de la lire elle, mais aussi d’y lire derrière, dans une superposition de textes, un montage. La durée dans l’espace de flottaison des blocs seraient variables, mais jamais très longue. Chaque bulle, chaque bloc s’arrêterait vite avant de reprendre vite.

lundi 25 mai 2009

Minuit une minute vingt secondes

Ce qui, dès le début est connu, c’est le nombre des parties. Ce qui ne l’est pas, c’est la durée des parties, leur longueur. Une part est prévisible, une autre ne l’est pas. Leur contenu l’est mieux. Il s’agit d’écriture, des conditions temporels de l’écriture et d’écriture du temps, temps très vite perçu comme écriture de vie, signe de vie minimale, c’est-à-dire comptée, dénombrée. Ce temps mis en lettre, qui prend le temps des lettres – temps lent, parfois accéléré mais seulement à partir de la lenteur principale, la lenteur étant à l’écriture ce que le silence est à la musique -, devient dans l’écriture un temps interne à l’écriture elle-même, produite par son action. Mais parce que ce temps reprend les balises du temps ordinaires, les secondes, les minutes, les heures au complet, comme œuvres complètes du temps, une illusion narrative se produit qui déborde dans le temps réel, le temps de la lecture. Le temps écrit devient le temps principal, à partir duquel l’autre temps, le temps réel, s’agrège et trouve un sens – et des sons. On en vient à habiter l’écrit.

Minuit une minute dix neufs secondes

A mesure que l’on avance, on recule. On recule car on retire à chaque nouvelle seconde ce qui était possible avant la première. On avance par la fin qui est le vrai départ. Il faudrait ne jamais rien faire ni vivre de ce qui est écrit et conserver le concept seulement, le programme initial. Ne jamais avancer de peur d’écorcher la totalité possible, illimitée, parfaite, le Tout. Tout le reste - la fabrication du programme, le passage à l'acte, le remplissage des cases ébauchées - est littérature – mais précisément.

Minuit une minute dix huit secondes

Somme toute, toute somme faite des secondes possibles, il n’y a pas d’extérieur au jour. Sitôt que l’on en termine un, on en commence un autre. Il n’y a pas d’interstices où s’échapper. La durée qui partage un jour d’un autre appartient à l’un ou à l’autre, il n’est même pas frontière. La journée est fermée. Tout est identique d’un jour à l’autre dans l’arithmétique d’une journée. La régularité ne peut-être rompue qu’écrite. Une écriture qui ne mime rien, qui ne reproduit rien car alors, dans sa fidélité au réel du jour, il faudrait que soit établi un système métrique capable de traduire cette égalité des secondes entre elles, des minutes et des heures. Une écriture naturaliste du jour serait une écriture à réglage fixe, fixée dans la règle, une écriture écrite. Une écriture sans règle, ou de règles variables, brouillant la perception des règles en laissant néanmoins quelques indices de lois inventées pour l’occasion - l’instant, la seconde - serait la fin du jour fermé. Par cette écriture seulement – libre car de règles inconnues - le jour s’échapperait de lui-même, deviendrait autre chose, un monstre temporel, une durée tératologique. Mais même ainsi, l’extérieur n’existe pas. Même irrégulière, l’écriture d’un jour est toute entière fermée, chaque unité de temps divisée reflétée dans l’autre par la ressemblance qui les affecte. La seule sortie tient aux reflets, aux déformations possibles de ces renvois multiples. Alors seulement, certains jours paraissent longs et d’autres courts, et cet accordéon simule un temps autre, fictif quoique reconnaissable, déformé. C’est par la fiction que l’écriture du temps sort le temps de lui-même, le traine dehors, à l’extérieur jour et l’extérieur nuit.

Minuit une minute dix sept secondes

Le travail consiste quotidiennement à décrire un lieu unique, toujours le même, assez vaste pour mobiliser chaque journée l’écriture, assez limitée pour qu’il soit possible de le faire en un jour. Le lieu choisi, il vaut mieux y habiter. Il faut y consacrer quelques heures, choisir des heures dans chaque journée et les employer à la description du lieu. Il peut s'agir des heures que d’habitude, on consacre aux travaux profanes de la vie alimentaire. Il peut s'agir des heures de l'après-travail, des heures creuses, des heures de repos ou de sommeil. Et il faut chaque fois faire la description la plus complète du lieu. Ce même texte, repris chaque jour, chaque fois d’une parcelle différente du lieu extrait et choisi, ou du même endroit, serait la trame d’un journal situé, conçu comme un exercice à contrainte, et guère éloigné des pratiques de certaines castes militaires en Asie, où le tir à l’arc, le maniement du sabre, la reprise, à chaque nouvelle journée, d’un nombre assez vaste de gestes, mais assez dénombrable pour ne pas être impossible à refaire tous les jours, constitue le mode de vie supposé permettre l’atteinte de la perfection. Le lieu serait une élévation dans une nature profuse et riche en cours d’eau. Il faudrait que soit audible l’eau, un cours faible ou moyen avec un ou plusieurs bassins. Ceci afin de permettre des dispositifs de textes en flux, en désignation de l’écriture par le réseau aquatique, avec des surfaces où s’exercent des plans profonds, des structures en couches, en nappes jointes avec des creux, des grottes dans le texte, ce qui impliquerait des mises en page de blocs moins rectangulaires. De ce lieu, on y verrait aussi un bois profus ou l’amorce d’une forêt. Extrêmement dense, aux entrelacs variées, ceci afin de permettre un dispositif du texte en lianes, en racines rejointes mais jamais complètement confondus, des effets de croisements qui conservent néanmoins indépendantes les troncs d’origines. Avec une profusion de plantes, comme sont les pousses de textes hétérogènes dans une trame unie, mais pas unique. De l’élévation, après la forêt, on verrait une ville immense et son rideau de monuments, d’immeubles anciens et contemporains, de tours d’élévations diverses, et le quadrillage, le damage de la ville où chaque architecture est posée. Le jardin serait court, en gradation vers la forêt épaisse et riche. Une maison modeste, presque pauvre, à laquelle serait adossée une cabane, visiblement une ancienne remise transformée en atelier de travail. Des travaux pourraient être entrepris visant à moderniser ce lieu semi bucolique, ouvert sur la ville futuriste en contrebas. Les travaux viendraient bouleverser l’exercice quotidien de description, insérant la nouveauté dans la reprise.
Chaque jour, la description pourrait partir d’un point unique, à partir duquel s’exerceraient des parcours, soit réguliers - des cercles concentriques rejoignant la bordure frontière du lieu - soit irréguliers - des zigs-zags, des diagonales, des boucles. Soit, chaque jour, la description partirait d’un point mobile, changeant, jamais semblable à celui employé la veille.
Mais le lieu pourrait être un simple studio situé dans un immeuble grande hauteur avec juste assez de vue pour ne pas avoir à sortir et suffisant pour y travailler toute une vie sans subir la sensation de se répéter, ou que cette sensation soit désagréable.