samedi 25 avril 2009

Minuit quinze secondes

Il y a des secondes de remplissage. On bourre comme on peut, histoire de continuer quand l’envie cesse. Par exemple, le premier niveau du remplissage consiste à jouer sur le sens d’un mot initial et d’en tirer, sans vergogne, une nouvelle seconde. Donc, si on bourre la présente seconde, elle grossit. On gave une seconde, on lui fait subir un débit. Obésité du texte d’un coup. Ce n’est plus l’élasticité du temps, l’incroyable souplesse élastique d’une seconde lissée avec soin qui s’impose, mais une lourdeur, un poids. La seconde coule loin dans les failles du temps ou du texte ou du temps textuel. Irrécupérable. En même temps, le poids peut-être source de rondeurs extrêmes, c’est excitant. Et puis, quels que soient la réussite ou l’échec d’une seconde, à cette période matinale du texte, minuit quinze secondes, il existe encore pas mal d’occasions de se rattraper.

lundi 20 avril 2009

Minuit quatorze secondes

L’écriture est confrontée au temps. C’est une course, à la fois sprint et marathon selon les portions du terrain quotidien où l’on se trouve. Tantôt la vitesse, tantôt la lenteur. On se sent tranquille dans ses lignes, l’une ajoutée à l’autre avec la régularité d’une foulée olympique et puis on est dépassé, il faut accélérer, rattraper ce qui ne se rattrape jamais, tout ce qui n’a pas été écrit au bon moment. A partir de combien de mots arrangés entre eux et ayant un minimum d’allure peut-on dormir en paix ? Il n’est que minuit quatorze secondes et il n’est pas question d’avoir sommeil avant la fin de cette journée.

Minuit treize secondes

Mourir un jour. A une seconde précise, quelque part dans la journée. Oui, mais avec la satisfaction d'avoir terminé, au moins une fois dans sa vie, un jour complet d'écriture, sans aucune seconde occultée ou négligée, toutes mises en lettre et développées, travaillées, maltraitées, honorées, peu importe.
Mais écrites. Donc immortalisées selon la convention de plus en plus fragilisée qu'écrire, c'est vaincre un peu du temps.
A l'instant exacte de sa mort, faire lire par ses proches la séquence correspondante. Et pour chaque mort, faire la même chose. Il n'y a, au fond, que quatre vingt six mille quatre cents possibilités temporelles d'écriture de mourir. C'est déjà pas mal.

Minuit douze secondes

Il faudrait faire le descriptif de toutes les secondes du temps réel, l’une après l’autre, avec, d’abord, la sensation de répétition, chacune d’elles, dans une portion courte de temps, ressemblant à la précédente et à la suivante. Puis, peu à peu pourtant, apparaissent de brèves variations, des transitions discrètes, cachées, progressives. Bientôt, les secondes éloignées de celles initiales se distinguent si bien qu’elles apparaissent disjointes, liées seulement par l’identité de mesure du temps qui leur donne une durée semblable.
Enregistrer pour chaque seconde les évolutions météorologiques, climatiques, géographiques.
Pour réaliser une telle entreprise, s’informer d’abord des lieux ou chaque seconde est vécue. Il faudrait donc ajouter au Féminin des nombres un projet connexe, toutes les coordonnées spatiales du globe terrestre. Donc, ou bien pour chaque seconde, décliner toutes les coordonnées possibles ; ou bien, pour chaque coordonnée, décliner toutes les secondes d’une journée. Par exemple : minuit douze secondes / 2°20E, 48°52N : noir, lumière successive de réverbère parisien, fatigue implicite, etc, etc. Ajouter aussi le mois pour préciser la saison et la présence de froid, de chaud, de vent, de calme. Afin de rester un brin réaliste et modeste dans cette entreprise, renoncer à appliquer le principe à toutes les coordonnées de l’Univers. Parfois, s’accorder néanmoins cette licence afin de ne pas oublier la science-fiction. Surtout, s’hydrater beaucoup avec des alcools forts.

Minuit onze secondes

Une seconde d’hésitation ressemble à s’y méprendre à une seconde d’écriture. L’hésitation implique un temps plus long qu’à l’accoutumé. Il y a là un principe d’élasticité variable, exactement comme un chewing-gum dont on tire la patte. Une seconde d’action s’oppose implicitement à cette seconde lente, hésitante, où se joue souvent une perte possible, un réflexe tardif alors qu’il eut fallut agir, passer à une autre seconde. Au lieu de quoi on assiste à une suspension, une seconde démesurément allongée. C’est l’écrit comme il se comporte sur l’écran au rythme des touches : retour, corrections, effacement, ajout, copie et collage. Et la lecture suit : retour, incompréhension, éclaircissement brusque, reprise. La patte texte, dans une seconde de texte, travaillée et retravaillée, expansée ou contractée, n’est pas une hésitation mais une action. L’inverse d’une seconde analphabète.

dimanche 19 avril 2009

Minuit dix secondes

L’ironie est partout dans le temps. L’ironie qu’à la fin du mois, il y ait moins de secondes dans le texte que de jours dans ce mois. L’ironie des secondes courtes, écourtées faute de paresse. L’ironie des secondes tronquées à cause de la nécessité de se nourrir, de se loger et de se vêtir. Combien de secondes d’écriture coûte une journée de travail ? Combien de secondes de Travail une seule journée vécue ailleurs qu’ici ? A combien se chiffre la perte en mots ? Il est minuit dix secondes et c’est l’heure de la fiction : démission générale de tous les travailleurs partout dans le monde. Oui, aujourd'hui, à l'instant précis de cette publication, le dix-neuf avril deux mille neuf, beaucoup de gens perdent leur emploi, mais ils ne le perdraient pas si partout, la démission avait lieu. La perte de travail n’aurait plus aucun sens. Dépérissement général. Violence. Loi des forts. Sexualité des faibles. Autorégulation. Dérive, nomadisme, bivouac sous la lune. Des fictions ? Sans enfant, non marié, ce serait un jeu pour un type dans mon genre. On sait qu’une société s’organise autrement quand une société disparaît. En attendant, il faut écrire et ne pas se gêner pour écrire des fictions.

Minuit neuf secondes

Impossible d’écrire le temps ailleurs que dans cet espace là. Impossible de publier une seconde ailleurs qu’ici. Les dates de publications d’abord. Echelle de temps comparés : l’année, le mois, le jour puis l’heure, la minute, la seconde. Voisinage des temps, vis-à-vis, opposition, contradiction, correspondance. L’heure de publication n’est pas l’heure publiée. Parfois, elle le sera sans doute. Vertiges dans le texte et autour du texte. Nombre de secondes publiées dans un jour, un mois, un an. Extension et rétraction du temps des publications comparées au temps publié. Etc, etc, etc. Minuit neuf secondes, le dix-neuf avril deux mille neuf, à seize heures heures cinquante et une minutes, cinquante secondes, si tout va bien.

Minuit huit secondes

Détournement des expressions de temps. Prendre le texte à l’heure, etc. Désolé, vous venez de louper le dernier texte, il faut attendre demain. Quel texte est-il svp ? Facilité d’expression liée à la fatigue. Ou à l’ennui, déjà. Ecrire le temps en toute lettre, c’est avoir le droit à l’ennui sans que s’ennuyer soit du temps perdu. Quelque part, un jour ailleurs que celui-ci, quelqu’un, n’importe qui - alors que l’aiguille ou la diode ou quoi que ce soit capable de signaler l’heure indiquera minuit huit - pourra consulter le texte et lire l’ennui mot à mot, l’ennui ludique des détournements de texte à des fins inutiles et abstraites – cette nuit là, à minuit huit exactement.

Minuit sept secondes

Chaque jour est divisé de la même façon. La seconde est l’unité de mesure la plus universellement partagée. C’est une unité métrique. Un système de versification. Partout dans le monde, on consulte des montres sans lire les heures. Il faut donc étudier chaque seconde et les classer selon son comportement : seconde brève, longue, accentuée, brisée, embrassée, enjambée, etc. Inutile de les subir, on peut provoquer la rime d’une seconde à l’autre. Le Travail, la chronographie, permet d’échapper aux travaux, au travail en minuscule, au capital travail qui détruit le temps, à l’agitation, au calme, à l’absence de sexe dans le temps. Une seconde se divise en syllabe dans le texte. Il y a soixante secondes dans une minute, la soixantaine devient donc l’unité séquentielle la plus conventionnelle de la métrique journalière. En essayant de vendre le concept à plusieurs universités appariées à la sociologie, à la philosophie, à la littérature ou aux arts plastiques, on m’a traité de fumiste et de paresseux. Exact, j’épelle chaque seconde le plus longuement possible, j'y creuse autant de lignes que je souhaite, grâce à quoi je ne travaille jamais. Matériellement, je n'en ai pas le temps.

Minuit six secondes

Plus les secondes s’ajoutent, plus elles se raccourcissent, du moins ce serait une possibilité, réduire le texte et parvenir ainsi à publier chaque jour assez de secondes pour finir ma journée encore jeune et vivre. Or, vivre en texte est le résultat de ce Travail et c’est jouissif. Toute la vie dans une journée, toute la journée dans une heure, l’heure dans une minute, la minute dans une seconde et dans la seconde, toute la vie. Et chaque jour après la fin de cette journée, pouvoir ouvrir le texte à n'importe quelle heure, minute, seconde et savoir qu'il y a du texte en face du temps et qu'il n'est pas perdu puisqu'il est écrit.
L’angoisse devient alors l’inverse : finir trop tôt et donc, mal finir.

Minuit cinq secondes

Le temps séparant une seconde d’une autre est relativement similaire à la durée d’une seconde. La durée séparant une seconde d’écriture d’une seconde écrite est conséquente de la vitesse selon laquelle on frappe le texte sur le clavier ( de sa longueur et surtout, de son élasticité, de sa capacité à continuer alors que, selon toute logique ou vraisemblance – ce lexique apparié à la synonymie du vrai, du véritable, bien que relativement suranné, usé et vieilli, possède dans le cas précisément de vraisemblance, quelque chose d’encore vivant et pourrait-on dire de mouillé, c’est un mot humide, dont le sens fuit les digues de sa définition stricte, il va ailleurs, il voyage, la vérité devient friable, sablonneuse, elle glisse dans les doigts, il faut se pencher pour compter les grains, s’assurer qu’il n’en manque pas sans quoi la vérité serait incomplète et donc fausse, il n’y a pas de vérité partielle, mais la vraisemblance fuit, elle s’égare -, il aurait du ( le texte ) s’arrêter plus tôt, mais non, la phrase a continué, elle continue, elle s’est ouverte des parenthèses, elle se poursuit, exactement comme par exemple, on continue parfois de marcher alors qu’il aurait fallu s’arrêter et que le cœur, le battement cardiaque s’accèlère – l’origine, pour mémoire, de l’unité minimale de mesure du temps, la seconde – , même si un chronomètre d’un coup stipule : « stop », STOP, et bien non, dans une seconde écrite, il dure, le temps, la phrase, elle ne s’arrête pas comme ça, il faut qu’un lecteur gueule pour qu’elle finisse par se taire et la fermer – la parenthèse ).
Ce serait presque du temps perdu, heureusement, il est écrit.

Minuit quatre secondes

Combien de temps dure une seconde écrite ? Le temps de lecture du texte correspondant.
Variable en fonction du temps que l’on dispose pour l’écrire. Ce n’est pas un cercle mais une spirale. L’écriture du temps fabrique une mécanique d’engendrement spontané de texte. Quoiqu’il se passe ou ne se passe pas, il faut écrire et dans l’écriture du temps, il y a toujours la possibilité de mettre un nom au nombre, de mettre les nombres du temps en lettre, une mise en lettre comme d’autres les mettent en scène dans les calculs. Il est minuit quatre secondes.
Horloge textuelle.

Minuit trois secondes

Exercice.
Comment expliquer son Travail à quelqu’un vous demandant ce que vous faites dans la vie ? La vie étant une suite d’années divisées en jours – on ne tient pas compte des intermédiaires que sont les mois et les semaines - eux-mêmes divisés en heures, minutes, secondes, on pourrait trouver une réponse du genre : chronographe.
Et l’entreprise pour laquelle on travaille : la chronographie.
C’est une forme de journalisme appliqué à l’intimité. Chaque seconde décortiquée, personnalisée, ralentie, presque arrêtée à la limite de la mort textuelle qui, ici, devient une forme d’immortalité, le temps quotidien étant considérablement allongé, la plus artisanale et la plus sûre méthode pour s’approcher de l’infini.
Plutôt que de n’avoir pas le temps d’écrire, autant écrire le temps.

Minuit deux secondes

Problème.
Combien puis-je écrire de seconde en une journée ? Combien faut-il que j’en écrive pour arriver au bout de ma journée d’écriture et me mettre à baiser, sortir ou simplement me coucher sans me sentir coupable de n’avoir pas assez écrit ?
Sachant qu’il y a quatre vingt six mille quatre cents secondes de texte, en publiant une seconde de texte par jour, il me faudrait deux cents trente six ans et deux cents soixante jours pour écrire une journée de texte complète. En publiant dix secondes par jour, il me faudra vingt-trois ans et deux cents quarante cinq jours pour terminer mes vingt quatre heures de texte. C’est un travail considérable, le Travail par excellence dans le domaine étroit de mes compétences.
Grâce au féminin des nombres, j’ai rencontré le Travail pour lequel je suis fait.
Mes proches peuvent être rassurés, j’ai du boulot pour toute la vie.

Minuit une seconde

Il est minuit une seconde mais le temps de l’écrire, il est déjà minuit deux ou minuit trois secondes. Il suffit d’une hésitation au moment de la frappe et le décalage initial s’accentue. L’écriture d’une seconde n’est pas une seconde d’écriture. Impossible de rattraper le temps réel par l’écriture du temps. Disons qu’il est minuit une seconde dans le texte. Le texte est une journée, il est construit comme une journée écrite de la première à la dernière seconde, en toute lettre. Il y a autant de chapitre ou séquence dans le texte que de seconde dans la journée. Chaque seconde est un titre de texte, chaque texte est une durée de seconde écrite. Chaque séquence du texte est une seconde d’une minute d’une heure précise. La journée finie, il sera donc possible au lecteur de consulter le texte à l’heure exacte de sa consultation. Quelle que soit l’heure, il y aura une séquence d’écriture correspondante. A la seconde près. Il y a donc dans ce texte quatre vingt six mille quatre cents secondes, groupées en mille quatre cents quarante minutes, groupées en vingt-quatre heures. L’heure, la minute, la seconde, sont de genre féminin en langue française. Il s’agit donc d’un type spécial de nombre, les nombres du temps, les nombres temporels qui, écrits en toutes lettres en français, sont féminins.
Le Féminin des nombres.