lundi 25 mai 2009

Minuit une minute dix sept secondes

Le travail consiste quotidiennement à décrire un lieu unique, toujours le même, assez vaste pour mobiliser chaque journée l’écriture, assez limitée pour qu’il soit possible de le faire en un jour. Le lieu choisi, il vaut mieux y habiter. Il faut y consacrer quelques heures, choisir des heures dans chaque journée et les employer à la description du lieu. Il peut s'agir des heures que d’habitude, on consacre aux travaux profanes de la vie alimentaire. Il peut s'agir des heures de l'après-travail, des heures creuses, des heures de repos ou de sommeil. Et il faut chaque fois faire la description la plus complète du lieu. Ce même texte, repris chaque jour, chaque fois d’une parcelle différente du lieu extrait et choisi, ou du même endroit, serait la trame d’un journal situé, conçu comme un exercice à contrainte, et guère éloigné des pratiques de certaines castes militaires en Asie, où le tir à l’arc, le maniement du sabre, la reprise, à chaque nouvelle journée, d’un nombre assez vaste de gestes, mais assez dénombrable pour ne pas être impossible à refaire tous les jours, constitue le mode de vie supposé permettre l’atteinte de la perfection. Le lieu serait une élévation dans une nature profuse et riche en cours d’eau. Il faudrait que soit audible l’eau, un cours faible ou moyen avec un ou plusieurs bassins. Ceci afin de permettre des dispositifs de textes en flux, en désignation de l’écriture par le réseau aquatique, avec des surfaces où s’exercent des plans profonds, des structures en couches, en nappes jointes avec des creux, des grottes dans le texte, ce qui impliquerait des mises en page de blocs moins rectangulaires. De ce lieu, on y verrait aussi un bois profus ou l’amorce d’une forêt. Extrêmement dense, aux entrelacs variées, ceci afin de permettre un dispositif du texte en lianes, en racines rejointes mais jamais complètement confondus, des effets de croisements qui conservent néanmoins indépendantes les troncs d’origines. Avec une profusion de plantes, comme sont les pousses de textes hétérogènes dans une trame unie, mais pas unique. De l’élévation, après la forêt, on verrait une ville immense et son rideau de monuments, d’immeubles anciens et contemporains, de tours d’élévations diverses, et le quadrillage, le damage de la ville où chaque architecture est posée. Le jardin serait court, en gradation vers la forêt épaisse et riche. Une maison modeste, presque pauvre, à laquelle serait adossée une cabane, visiblement une ancienne remise transformée en atelier de travail. Des travaux pourraient être entrepris visant à moderniser ce lieu semi bucolique, ouvert sur la ville futuriste en contrebas. Les travaux viendraient bouleverser l’exercice quotidien de description, insérant la nouveauté dans la reprise.
Chaque jour, la description pourrait partir d’un point unique, à partir duquel s’exerceraient des parcours, soit réguliers - des cercles concentriques rejoignant la bordure frontière du lieu - soit irréguliers - des zigs-zags, des diagonales, des boucles. Soit, chaque jour, la description partirait d’un point mobile, changeant, jamais semblable à celui employé la veille.
Mais le lieu pourrait être un simple studio situé dans un immeuble grande hauteur avec juste assez de vue pour ne pas avoir à sortir et suffisant pour y travailler toute une vie sans subir la sensation de se répéter, ou que cette sensation soit désagréable.

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