dimanche 26 avril 2009

Minuit seize secondes

Il pourrait s’agir d’une fiction. N’importe quelle fiction condensée dans un jour. On pourrait prendre comme découpage de cette fiction les secondes de la journée. Chaque action, chaque pensée, chaque dialogue seraient décomposés à la seconde près. Et au sein de chaque seconde écrite, le moindre geste, mot, idée d’un ou plusieurs personnages, le moindre paysage deviendraient un événement descriptif. Il faudrait une prose transitionnelle. Plusieurs possibilités s’offriraient.
Soit on opte pour une langue répétitive, avec, à chaque seconde, une infime variation qui indique le mouvement en cours. Après quelques minutes, le texte initial serait totalement transformé exactement comme on peut passer d’une couleur à une autre progressivement par le dégradé de toutes les teintes intermédiaires.
Soit on opte pour une langue photographique, avec, à chaque seconde, un arrêt sur un fait de la fiction en cours. Puis on explore. On ne cherche pas à progresser mais à exposer l’ensemble des plans que l’immobilité révèle. On découvre la multiplicité des directions possibles dont la richesse abolit toute tentative de progresser. Chaque seconde de la fiction est alors déliée des secondes limitrophes. Le passage de l’une à l’autre est aussi brusque que le montage de plans contradictoires les uns à la suite des autres. C’est la confrontation des secondes entre elles qui produit un sens virtuel. C’est la « troisième » seconde, simulée et imaginaire, intercalée entre deux secondes d’écriture effective. Il n’est pas trop tard. La fiction est peut-être déjà commencée. Il doit s’agir d’un seul individu, un individu isolé quelque part. Sans doute dans un observatoire. Un observatoire d’un genre spécial. Un observatoire doté d’un télescope géant de dernière génération. Et aussi d’un dispositif informatique qui le relie à toutes les caméras en fonctionnement dans le monde. C’est une fiction, c’est donc un observatoire spécial. Il observe ce qui se passe sur terre et ce qui se passe loin d’elle. Mais il est confronté au temps. C’est le temps qui donne au lieu sa pertinence. Un lieu n’est jamais pareil d’une seconde à l’autre. Il suffit de prendre une série de photographies. Ou de filmer. Pour s’en apercevoir. Il observe donc le temps plus que les lieux. Il prend donc des notes au fur et à mesure, il inscrit progressivement ce qui lui semble important et, très vite, ce qui lui semble anecdotique et, plus vite encore, ce qui semble lui échapper, car quelque chose lui échappe, il ne maitrise plus, il ne maitrisera bientôt plus du toute le programme qu’il s’est fixé et qui part en couille, oui, manifestement, il part en couille, et son esprit dépassé lui préconise d’accepter et de trouver un subterfuge, partir en couille, c’est comme partir en voyage, la Couille est donc comme un pays lointain, c’est un pays.
Il se reprend à temps : l’observatoire est situé quelque part en Asie du Sud-Est, dans un endroit élevé et solitaire, mais assez proche d’une grande ville balnéaire de plaisirs, avec en face, un chapelet d’îles paradisiaques et relativement préservées. Après tout, on est dans une fiction, on est ici pour vivre une fois pour toute et définitivement, on est chez soi, bien enveloppé dans un faisceau de secondes scripturales, on ne va donc pas se gêner.

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